Mon chaos compatissant : Coupable d'appropriation culturelle avec le rebozo?
- amandine-munoz
- 12 mai
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 13 mai
Le 12/05/2025
Today j’ai envie de vous partager ma prise de notes lors de ma lecture du livre de Khémaïs Ben Lakhdar (Professeur d’histoire de la mode), « l’appropriation culturelle. Histoire, domination et création : aux origines d’un pillage occidental. »
Je tiens à préciser que ma prise de notes dépend totalement de qui je suis, de mon milieu social, de mon prisme d’analyse. J’ai donc envie de préciser que je suis blanche, occidental, cisgenre, je viens de la classe moyenne, j’ai étudié à l’université en sociologie jusqu’au master2.
J’avoue que par moment la lecture m’a confronté mais justement je pense pour tous les attributs que j’ai définis juste au-dessus. Cet article aurait pu tout à fait s’intituler : « je plaide coupable, je fais de l’appropriation culturelle ».
Mais avant de m’auto-analyser, je vais déjà poser ici ce que j’ai retenu et les phrases que j’ai notées.
Je ne fais clairement pas ici une fiche de lecture, structurée synthétisant les différentes notions. Je mets en vrac mes notes et mes réflexions comme vous êtes dans mon laboratoire d’écriture.
J’ai envie de commencer par vous expliquer pourquoi tout d’un coup je me suis mise à lire ce livre et je n’ai pu m’arrêter jusqu’à ce que je le termine. J’ai donc passé mon vendredi soir à lire soit environ 3 heures.
Ma motivation première était liée au fait que cette semaine, je vais approfondir mes connaissances du soin avec le rebozo avec Anne Belargent. J’ai commencé la formation l’année dernière et j’ai pratiqué. Je voulais cette année approfondir.
Or le rebozo vient du Mexique et à ce sujet il y a pléthores d’articles, posts sur instagram indiquant que les blanches dont je fais partie font de l’appropriation culturelle avec le rebozo. Evidement que ma première pensée est « mais non je n’en fais pas etc… » Mais je crois que je me cache derrière beaucoup d’arguments. Alors j’ai voulu comprendre, pourquoi je réagissais comme cela et surtout qu’est-ce que ce concept d’appropriation culturelle et pourquoi pour moi il sonnait comme une insulte ?
Alors direction la bibliothèque de Paris pour emprunter ce livre que j’avais recherché au moment de ma première formation.
C’était vendredi après-midi. Vendredi soir je n’avais qu’une envie : me mettre dans mon lit pour commencer la lecture.
Et me voilà partie dans l’univers de l’appropriation culturelle. (je mettrais en gras mes réflexions en cours de lecture, tout ce qui est entre guillemets sont des citations du livre).
L’auteur commence par délimiter et définir ceci : « le fait de s’approprier des objets créés par d’autre parait être un mécanisme banal et très intériorisé » (notamment dans le milieu de la mode)
« L’appropriation culturelle est une composante importante de nos vies. On en fait tous beaucoup. Alors où est le problème ? A qui ça pose problème d’ailleurs. » (Quand il a posé ces questions, je me suis dit, ok je suis au bon endroit pour observer des réflexions riches à ce sujet et ne pas tomber dans la pure dichotomie entre appropriation culturelle et appréciation culturelle)
« L’appropriation culturelle révèle ce que beaucoup ne veulent pas voir c’est-à-dire les dynamiques racistes et coloniales de nos sociétés occidentales. Et finalement discuter de cela c’est questionner notre rapport à l’Autre, à l’étranger. »
(En lisant cela j’ai dû mal à me reconnaître comme une personne qui s’approprie la culture mexicaine via le rebozo, car c’est une culture que je connais bien, que je côtoie depuis plus de 20 ans et que je respecte profondément, bref je vais cheminer dans ma lecture avec je l’avoue l’envie d’arriver à la partie des solutions : ok comment fait-on avec cette notion d’appropriation, pourrais-je utiliser un rebozo sans être définie par cette notion ?)
J’ai noté également la définition d’Eric Fassin (professeur à l’Université de Paris 8), selon lui, « l’appropriation culturelle c’est lorsqu’un emprunt entre les cultures s’inscrit dans un contexte de domination. »
« Parler d’appropriation c’est donc mettre en lumière le fait que tous les échanges culturels ne sont pas à placer au même niveau, qu’il y a nécessairement un rapport de force inégal ».
Autre définition qui m’a paru intéressante, celle de Rodney William : « la culture représente l’ensemble des traditions, croyances et coutumes d’un groupe social déterminé. La culture est transmise par la communication ou l’imitation aux générations suivantes. Elle représente le patrimoine social d’un groupe, étant la somme des normes et comportements humaines impliquant les connaissances, les expériences, les attitudes, les valeurs, les croyances, la religion, la langue, la hiérarchie, les relations spatiales, la notion de temps, les concepts de l’univers. La culture peut également être définie comme le comportement par le biais de l’apprentissage social. »
« Parler d’appropriation c’est tenter de poser la question des inégalités culturelles et de l’histoire coloniale et postcoloniale de notre société contemporaine. »
Guillaume Gendron « Tous coupables d’appropriation culturelles ? » article de libération du 22/12/2016.
L’auteur explique ce concept par rapport au milieu de la mode car c’est très visible.
En France, au 19ème siècle, il y a une obsession de l’exotisme. « La mode contemporaine est coloniale par essence. »
« Consommer l’exotisme et des denrées rares des colonies est un moyen de se distinguer et de montrer de façon ostentatoire son appartenance à l’élite et à la classe bourgeoise. »
« S’approprier des objets et les muséaliser pourrait se résumer en formule simple : collecter pour dominer l’objet extirpé de son contexte entre dans le champ de l’histoire de l’art parce qu’il est légitimé par un regard blanc et occidental. » A ce moment-là de ma lecture, je me pose la question suivante : « est-ce le cas avec le rebozo ? »
Quand les objets sortent de leur contexte et sont mis dans des musées, ils perdent leur signification et on dépouille les sociétés d’où ils viennent.
« L’exotisme est mis en avant pour proposer du nouveau à la clientèle. »
Je me questionne sur la hiérarchie du rebozo ici et au Mexique ? je me questionne également sur la différence entre « mantear » et « le slow rebozo » deux pratiques diamétralement opposées. Le seul point commun est le rebozo mais dans les gestes et l’intensité des mouvements ils sont aux antipodes.
Qu’est-ce que ça changerait que le rebozo soit utilisé par une blanche ou par une Mexicaine ? (Quels sont les mouvements utilisés, la perception du corps, de soi-même en tant que praticienne et également pour la personne qui reçoit le soin). J’expliciterai également les différences entre mantear et le slow rebozo dans un prochain article.
En poursuivant ma lecture, je note « la perception des corps blancs et non blancs vêtus est au cœur de la question de l’appropriation culturelle puisqu’elle met en exergue le problème de domination. »
Si j’étais « typée » mexicaine : est-ce qu’on me demanderait autant de me justifier concernant l’utilisation du rebozo dans mes soins ? Je me dis ça constitue un délit de faciès. Mes amies mexicaines savent que je suis passionnée de la culture mexicaine, que je connais même plus de choses qu’elles sur certains aspects et pourtant même avec tout le respect et mon humilité, un œil extérieur pensera que je suis une blanche qui vole la culture mexicaine avec l’utilisation du rebozo.
Plus je lisais et plus je pensais la solution : parler du soin dans tous ces recoins pour mettre en avant ce que cela recouvre et ce qu’il n’est pas, redonner l’histoire du rebozo, son contexte d’utilisation, expliquer que je l’utilise comme une blanche et sortir du discours eurocentré.
Pour éviter cet écueil : « cet artisanat (cf mexicain), est utilisé tel quel dans la collection d’Isabel Marrant, son histoire et le peuple qui prétend en être propriétaire sont tout bonnement niés. »
Dans l’appropriation culturelle d’objets : « l’intégrité de l’objet n’est pas respectée ».
Je pense donc à comment redonner son intégrité au rebozo dans ma pratique.
Il y a eu trois moments majeurs pour le concept d’appropriation culturelle :
1. Les années 70 avec les vagues d’indépendances des colonies (prémisses avec Kenneth Coutts Smith marxiste qui cherche à faire accepter, dans le champ de la création, l’idée d’hégémonie culturelle de l’Europe qui s’exerce par un pillage méthodique et l’accaparement de toutes les cultures mondiales.
2. Les années 90 avec l’analyse de Rodney William et Monique Jendy Ballini. Deux camps se créent avec d’un côté la critique d’un racisme systématique et l’utilisation du concept d’appropriation et de l’autre côté ceux qui discréditent le concept.
A cette époque l’appropriation culturelle est une arme militante.
Autre approche intéressante, celle de Loretta Todd. Elle définit l’appropriation par rapport au phénomène inverse, c’est-à-dire, « l’autonomie culturelle, à l’interprétation par les membres d’une collectivité culturelle de leurs propres racines et traditions, sans intervention de l’extérieur. »
Bell Hooks, féministe noire, parle de « cannibalisme culturel » c’est-à-dire d’une « consommation prédatrice », comme de « manger l’autre en consommant sa culture ».
3. Les années 2010 sur les réseaux sociaux, en France : ce concept prend une nouvelle ampleur.
Minh-Ha T Pham, penseuse intéressante dans le débat puisqu’elle propose « un discours inapproprié (elle entend toute l’histoire et les symboliques attachés à un objet avant qu’il n’entre dans un paysage culturel et créatif occidental) d’appropriation culturelle. » Afin de dépasser le débat stérile entre appréciation et appropriation : « je suggère de s’engager dans un discours « inapproprié » qui recadrerait le débat en incluant toutes les choses que n’emportent pas les créateurs occidentaux blancs lorsqu’ils se livrent ailleurs au pillage. Plutôt que d’être obsédé par le fait de définir certaines pratiques et formes d’appropriation culturelles comme « bonnes » ou « mauvaises », « racistes » ou « post raciales », respectueuses ou non, un discours inapproprié s’interroge sur ce qui n’est pas appropriable et pourquoi, ce qui ne peut pas être intégré et ne peut continuer à maintenir les structures de pouvoir existantes du système de la haute couture. Ce faisant, nous défions réellement l’idée sur l’Occident détiendrait un pouvoir et une autorité absolus en matière de contrôle de la manière dont le monde voit, connait la mode et en parle. »
Ce passage m’a beaucoup inspiré et je veux faire cela par rapport à ma pratique du rebozo.
Voilà pour ma prise de notes. J’espère que ça vous a donné des pistes si vous vous interrogez sur ce vaste sujet. Pour ma part je vais continuer à investiguer sur ce concept 😊
Des bisous
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